La CJUE a rendu deux décisions très attendues en date du 14 mars 2017[1] en réponse à deux questions préjudicielles posées par la Belgique et la France, à l’occasion de litiges portant sur le bien-fondé du licenciement de salariées ayant refusé de retirer leur voile lors de contacts avec la clientèle.
Dans la première affaire, le licenciement de la réceptionniste belge était intervenu sur le fondement d’une disposition d’un règlement intérieur qui comportait une obligation générale de neutralité.
Dans la seconde affaire, aucune règle collective interne à l’entreprise n’était invoquée, le licenciement reposait uniquement sur la prise en compte par l’employeur d’une demande d’un client de ne plus avoir affaire à une salariée portant le voile.
Ces deux décisions ont permis d’apporter des éclaircissements sur la politique de neutralité poursuivie dans les entreprises privées.
1/ En présence d’une clause de neutralité dans un règlement intérieur.
La CJUE a admis qu’un règlement intérieur puisse comporter une clause de neutralité visant à interdire le port de tout signe visible de convictions religieuse, philosophique ou politique.
Il n’en résulte donc aucune discrimination directe[2] fondée sur la religion puisqu’une telle clause vise « indifféremment toute manifestation de telles convictions » et traite « de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise »
En revanche, le risque qu’une discrimination indirecte soit retenue par le juge national à l’égard d’une clause du règlement interne de l’entreprise reste toujours présent.
La CJUE livre donc une série d’indications pour guider le juge national qui devra s’assurer de l’absence de discrimination indirecte :
– Condition d’objectif légitime : liberté de l’entreprise d’adopter une politique de neutralité
– Sur le caractère approprié de la règle interne : la politique de neutralité doit être poursuivie de manière cohérente et systématique
– L’interdiction doit être nécessaire pour atteindre le but légitimement recherché, c’est-à-dire uniquement les travailleurs qui sont en relations avec les clients.
2/ En l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur
La CJUE s’est prononcée sur l’impact du souhait d’un client sur le port d’un signe religieux d’un salarié et a retenu à cet effet que ce souhait ne pouvait être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4, paragraphe 1 de la direction 2000/78.
Pour la Cour, cette notion d’exigence essentielle et déterminante ne saurait couvrir des considérations subjectives comme par exemple la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.
*
* *
On peut donc se réjouir de ces décisions puisqu’elles mettent fin aux incertitudes sur la politique de neutralité à adopter au sein des entreprises privées.
En France, ces décisions permettent ainsi de donner un nouveau regard sur l’article L.1321-2-1 du Code du travail, introduit par la loi Travail du 8 août 2016 qui autorise l’inscription du principe de neutralité religieuse dans le règlement intérieur.
Concrètement, il sera donc possible de limiter le port de signes religieux indifférenciés pour mettre en œuvre une politique de neutralité vis-à-vis des clients, à condition que cela soit limité aux travailleurs en relation avec la clientèle.
[1] CJUE, 14 mars 2017, n° C-157/15G4S Secure Solutions et n° C‑188/15, Mme Bougnani et a. c/ Micropole SA
[2] Au sens de l’article 2 § 2 de la directive du 27 novembre 2000