Deux ans et demi après l'instauration du barème aux prud'hommes, les employeurs se montrent satisfaits de cette réforme qui leur donne plus de prévisibilité. Mais d'autres effets sont à l’œuvre : les procédures deviennent plus complexes, plus longues à traiter. Et les salariés plaignants ont des rémunérations plus élevées, donc des indemnités plus coûteuses à payer.
Alors que le gouvernement se démène depuis plusieurs semaines sur la réforme des retraites, une autre réforme produit, à bas bruit, des effets notables sur le champ social. Celle des prud’hommes.
Souvenez-vous, c’était en septembre 2017, à l’époque où le macronisme triomphant faisait ses premiers pas avec une rapidité et une efficacité qui font pâlir d’envie les réformateurs d’aujourd’hui, les mêmes pourtant qu’il y a deux ans et demi.
Donner de la prévisibilité
L’ordonnance du 22 septembre 2017, ratifiée par la loi du 29 mars 2018, a instauré un barème aux prud’hommes qui permet à l’employeur de connaître à l’avance le paiement des indemnités supralégales à payer à son salarié, dont le licenciement a été jugé non conforme à la loi, pour réparer son préjudice. Ce barème varie selon l’ancienneté du salarié. Le principe de pouvoir payer pour enfreindre la loi peut choquer, et l’argument a d’ailleurs été utilisé à maintes reprises par les avocats qui ont combattu – et combattent toujours, car la passe d’armes juridique n’est pas terminée – le principe du barème. C’est toutefois l’objectif principal de la réforme défendue par le gouvernement : donner de la prévisibilité à l’aléa juridique que constitue un contentieux aux prud’hommes.
De ce point de vue, la réforme a parfaitement rempli son objectif. La « peur d’embaucher « , comme le répètent souvent les chefs d’entreprises, s’est largement émoussée si l’on en croit les chiffres de l’Acoss. Sans qu’il puisse être fait de lien scientifique entre les deux, on remarque toutefois que la reprise de l’emploi en CDI coïncide de manière presque simultanée avec la mise en place du barème. C’est aussi, et surtout, une conséquence de la reprise économique, reconnaissent les employeurs eux-mêmes.
Baisse drastique du contentieux
Il n’empêche, sur le volet emploi, rien à dire. Mais qu’en est-il des autres aspects de la réforme ? Celui du volume et de la célérité des procédures, ou encore celui de l’accès à la justice. Le barème a eu un effet déflationniste certain sur le nombre de procédures intentées, même si la baisse des contentieux avait commencé bien avant l’introduction du barème. Avec la création de la rupture conventionnelle, puis avec la réforme de 2016 sur la procédure prud’homale – qui a conduit à davantage de formalisme – les recours liés au licenciement sont passés de 229.000 en 2009 à un peu moins de 120.000 en 2018. La baisse s’est poursuivie avec le barème, mais elle n’est pas uniforme. » La baisse du contentieux est particulièrement marquée pour les ouvriers et employés, notamment pour les petites anciennetés de moins de deux ans, où le barème est très faible, explique Yasmine Tarasewicz, avocate et associée du cabinet Proskauer Rose. » Pour ces personnes, l’espérance de gain est trop faible et la procédure est devenue trop compliquée pour mériter d’être lancée« , poursuivit-elle.
Parallèlement, une autre tendance est à l’oeuvre : » Depuis début 2019, on observe, tout au moins à Paris et Créteil, une remontée du contentieux de l’ordre de 10 à 15%. Cette remontée est concentrée sur les cadres, notamment sur la remise en cause des forfaits jours et le rappel d’heures supplémentaires » observe Pierre Brégou, avocat et conseiller prud’homal côté patronal. Comme le résume la chercheuse du CNRS, Evelyne Serverin, interrogée dans la semaine sociale Lamy : « On constate une gentrification du contentieux (…). Et la réforme de l’assurance-chômage risque de renforcer ce phénomène avec le durcissement(…) de la dégressivité de l’indemnisation pour les plus hauts salaires. »
Discrimination et harcèlement
A cette « gentrification » – dont Carlos Ghosn, qui a saisi les prud’hommes pour son indemnité retraite, est l’exemple paroxystique – s’ajoute une complexité nouvelle des affaires pour tenter de contourner le barème. Les cas de discrimination, de harcèlement, ou encore les conditions vexatoires du licenciement, ne peuvent pas être indemnisés via le barème. Les avocats salariés ne se gênent donc pas pour les invoquer s’ils en ont l’occasion. » C’est du coup un contentieux plus technique, donc plus long à traiter », explique Nicolas Sevin, président d’Avosial. Ainsi, malgré la baisse importante du nombre d’affaires entrantes, le stock d’affaires et leur durée de traitement restent élevés. Et l’engorgement des tribunaux encore bien ancré dans les plus gros conseils des prud’hommes.
En voulant donner de la prévisibilité aux employeurs, le gouvernement n’avait vraisemblablement pas en tête que cette réforme produirait aussi de la complexité. Avec un contentieux plus technique, des procédures plus longues à traiter et des salariés – les cadres – aux rémunérations plus élevées, donc aux indemnités plus importantes à payer, il n’est pas sûr que les employeurs, à l’usage, soient toujours aussi satisfaits d’un barème qu’ils ont pourtant largement contribué à instaurer.
Article de Marie Bellan pour Les Echos le 17 janvier 2020.