HEURES SUPPLÉMENTAIRES : VERS UN BOULEVERSEMENT DU SYSTÈME PROBATOIRE ?

En matière d’heures supplémentaires, la preuve n’appartient spécialement à aucune des parties.

L’article L.3171-4 du Code du travail institue en effet un système de preuve partagée entre l’employeur et le salarié concernant les heures de travail effectuées.

En application de ce texte, la Cour de cassation juge de manière constante depuis 2004 que si la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties et que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Suivant le système de répartition de la charge de la preuve, un préalable pèse donc sur le salarié, qui doit, avant tout chose, présenter au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Cependant, la Cour de cassation est venue préciser que l’expression « « étayer sa demande » ne signifie pas pour le salarié l’obligation d’apporter des éléments de preuve mais seulement des éléments factuels suffisamment précis afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail accomplies, d’y répondre utilement.

Et si la Cour de cassation est venue préciser et/ou affiner sa jurisprudence au fil des années suivantes, ce système de répartition de la charge de la preuve n’avait jusqu’alors jamais été remis en cause.

Toutefois, un arrêt rendu le 14 mai 2019 par la CJCE a fait craindre un bouleversement de la charge probatoire en matière d’heures supplémentaires en droit interne et ce au détriment de l’employeur.

Saisie d’un litige collectif portant sur l’enregistrement du temps de travail journalier et des éventuelles heures supplémentaires réalisées, la CJCE est venue préciser :

«-        que les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16 paragraphe 3 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et la santé des salariés au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règlementation d’un état membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

–        Contrairement à un système mesurant la durée du temps de travail journalier effectué, les moyens de preuve pouvant être produits par le travailleur, tels que, notamment, des témoignages ou des courriers électroniques, afin de fournir l’indice d’une violation de ses droits et entrainer ainsi un renversement de la charge de la preuve, ne permettent pas d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures de travail quotidien et hebdomadaire effectuées par le travailleur, compte tenu de sa situation de faiblesse dans la relation de travail ;

–        Afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la directive 2003/88 et du droit fondamental de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalières et hebdomadaires consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l’obligations de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, avec toutefois une marge d’appréciation dans la mise en œuvre concrète de cette obligation pour tenir compte des particularités propres à chaque secteur d’activité concerné et des spécificités de certaines entreprises ».

 

Cet arrêt de la CJCE a donc fait craindre une obligation pour l’employeur de recourir à un système de contrôle automatisé du temps de travail des salariés et donc un durcissement de la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires au détriment du seul employeur.

A la suite d’une telle décision, la position de la Cour de cassation était dès lors très attendue sur ce sujet.

C’est désormais chose faite dans un arrêt récent du 18 mars 2020 (n°18-10.919) aux termes duquel, fort heureusement, la Cour de cassation ne modifie pas le système de répartition de la charge de la preuve qui demeure donc identique.

 

En effet, si la Cour confirme l’obligation pour l’employeur de contrôler le temps de travail du salarié au moyens d’un système fiable, objectif et infalsifiable, elle ne semble pas, pour autant, imposer un recours obligatoire à un système automatisé de contrôle du temps de travail puisqu’elle prévoit que si l’employeur utilise un tel procédé, il doit être fiable et infalsifiable, ce qui tend a contrario à dire que l’employeur peut contrôler le temps de travail suivants d’autres modalités ou procédés.

Mais l’apport de cet arrêt ne s’arrête pas là.

 

A l’occasion de cette décision, elle rappelle que la preuve est partagée en matière d’heures supplémentaires et que la charge de la preuve de celles-ci ne saurait donc peser

exclusivement sur le salarié. Elle abandonne donc la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve et lui substitue désormais l’expression de « présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande ».

 

Enfin, la Cour de cassation marque sa volonté de contrôler le respect par les juges du fond des deux étapes de la preuve, à savoir vérifier que le salarié présente des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande, puis que l’employeur a bien justifié des horaires réellement accomplis par le salarié.

 

 

 

 

 

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